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KRUTH ou NEUBOIS : les "apparitions" alsaciennes de la Vierge Marie

Elles sont méconnues, villipendées même, mais elles ont bouleversé tout un village, une région même en pleine période de troubles historiques, les apparitions de Neubois .  Niées à tel point  que  mêmes les Alsaciens ne savent plus grand chose. Prenant les livres et chaussant mes souliers, voilà le  reportage que j'ai livré aux lecteurs de la petite lanterne, l'an passé.

 Qui connaît le petit village de Neubois ? Le lieu dit « Kritt » (Krueth, Krüth, d’autres ouvrages le classent sous une de ces appellations)  personne ? 
Aujourd’hui sans doute, excepté quelques locaux et quelques initiés, tout le monde a un peu oublié les foules qui en calèche, à pied, en chemin de fer  (
80 000 billets vendus en janvier 1873 tout de même) à bicyclette grimpaient sur la colline à 700 mètres d’altitude, à l’ouest de Sélestat, sur le Frankenbourg, sur le canton de Villé, tout proche du Haut-Koenigsbourg et ceci malgré le vent et les frimas.

C’est ici, en effet qu’eurent lieu les seules « apparitions » mariales en Alsace. Même si des apparitions de dames blanches  ont été recensées en Alsace, aucune n’eut cette ampleur. Car de 1870 jusqu’en 1873 , la Sainte Vierge dite Notre-Dame du Frankenbourg (le lieu du mont) y est apparue des centaines de fois. Le nombre  complique sérieusement les recensions, des déclarations sérieuses et recoupées, excluent les hallucinations collectives, tandis que d’autres  s’en rapprochent. Mais le nombre de recensions, de témoignages confirment qu’il s’est bien passé quelque chose sur cette colline, au pire une escroquerie concertée (avec autant de témoins ?) une hallucination collective ?  Au mieux des phénomènes mariaux. Tout commence par des croix noires qui apparaissent sur vitres des maisons du canton, sans qu’il soit possible de les ôter, les vitres ont été cassées, refondues en pure perte en Alsace et en Prusse. Le tout se déroule dans une situation politique critique, la Prusse ayant repris possession de l’Alsace voit tout cela d’un mauvais œil. Les premières années furent assez délicates, la souplesse politique à l’égard de l’Alsace et les mouvements vers une Constitution alsacienne et un land alsacien dans l’empire de Prusse seront pour plus tard. (1911, Constitution, chant et drapeau alsaciens).

Quelques semaines plus tard, 7 juillet 1872, des enfants (4 fillettes de 8 à 11 ans ) cueillant des myrtilles grimpent sur le mont, dans la forêt,  croisent une lumière. Léonie Martin, affirme avoir vu une dame blanche, les autres s’enfuient, sauf Odile la cousine de Léonie. Elle porte une couronne jaune sur laquelle se détache une croix noire avec un Christ blanc. Les apparitions se multiplient. Tout s’accélère et échappe aux voyants à partir du moment où le lieu devient symbole de la résistance car l’une des voyantes a vu un glaive tournoyer au-dessus d’une armée de guerriers.  80 voyants le  31 juillet 1872 devant 2000 personnes, puis le 6 août. (Une cinquantaine d’enfants et d’adolescents, une trentaine d’adultes) et une soixantaine d’habitants des communes voisines. L’ouvrage de G. Lameire en fait une recension exhaustive. (Des pages 205 à 213, avec les dates, leur ville ou village de résidence) Le début ne semble pas du tout politique. 
Des interprétations ou des déformations font tenir aux voyants des propos sur la restauration monarchique. Un homme au manteau blanc, que voit la voyante,  donnera lieu à des interprétations, on le transforme en Henri V, mais il ne semble pas que ce soit l’enfant qui l’ait dit. Peut-être est-ce une allégorie d’un pays ? 
Des conflits à venir ?
Des traces subsistent actuellement encore, un site internet faisant le lien avec la bataille de Tolbiac et la Restauration française (comte de Chambord sous le nom de Henri V), certaines idées persistent décidément. On affirme même dans certains milieux  que ce lieu fut celui de la bataille de Tolbiac (Frankenbourg, alors que « frank » ne signifie pas bourg des francs, mais « libre ») entre francs et germains, alors que les deux peuplades étaient germaniques, ainsi que Clovis et Clotilde habitèrent le Val de Villé, rien que cela !

Plus sérieusement, le prêtre de la paroisse fut favorable aux faits, l’abbé Ulrich, l’évêque Mgr Raess plus réservé. Il recommande dès septembre 1872 la « prudence » et il veut éviter les conflits avec les « militaires ». Car les autorités grondent. Pour accéder au village, il faut un « pass »… Rappelons que les autorités prussiennes ont fait héberger (le coût n’était pas négligeable) par la population (en commençant par celle des « voyants ») des centaines de gendarmes afin de faire surveiller de nuit comme de jour le Frankenberg (le mont).  Avec des menaces pour les contrevenants. Le lieu fut un haut lieu de pèlerinage, la perte de l’Alsace médiatisée jusqu’à la capitale y contribua, on vendit des lithographies et images pieuses rue saint Jacques à Paris avec notre apparition à Krüth-Neubois !

Les apparitions n’ont pas été reconnues ou invalidées. Mais sous la pression des autorités, sous les menaces d’excommunication, sous la contrainte de peines de prison et de sanctions financières, certains voyants se sont rétractés. Il faut dire aussi que certains voyants  (la liste est longue) abusaient de leurs déclarations qu’ils monnayaient ou trafiquaient la vente de leurs prières. 28 se rétractèrent, certains à contre-cœur. Les apparitions cesseront en 1877. On est alors loin de la foule des années 1870 et du symbole de l’Alsace française que certains ont cru y voir ou pensé à l’interpréter.. 

Sur les lieux subsistent un lieu de pèlerinage dans la nature, avec un chemin de croix, une statue de l’archange St-Michel terrassant le dragon, une statue de la Vierge à l’Enfant imitation d’une vierge « campagnarde italienne, par le scuplteur Ledermann de  la vallée de Villé (précise l’auteur Lemaire),  un autel où est célébré à chaque assomption une messe solennelle, ainsi que plus haut une source en pleine nature. Des efforts pastoraux sont déployés afin d’en faire un lieu marial comme il en existe tant en Alsace, celui-ci étant un peu plus spécial que les autres.

(Bibliographie : * pèlerinage et piété populaire en Alsace par Marie-Thérèse Fischer, des mérovingiens à nos jours de Lauterbourg à Lucelle, édition du Signe, 2003,
* le récit complet figure dans « Apparitions en Alsace » par Gilles Lameire, Notre-Dame de Neubois, T.R.C, octobre 1978, bp 34 78103 Saint-Germain-en-Laye cedex, 
* Synthèse critique dans le dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie de l’abbé Laurentin, et de Patrick Sbalchiero, Fayard 2007. (article sous Krüth-Neubois)


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