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Les feuillus de l'hiver et d'r illtis, personnages de mi-carême



Les rites de Carnaval sont riches, on y découvre de multiples croyances dans les esprits de l'hiver, la peur des animaux magiques ou anciens. Ainsi dans le défilé d'Offenbourg on trouve des costumes que chaque Verein (chaque association) revêt.  C'est une originalité de protéger ainsi un costume, des masques ancestraux. Chaque village a ainsi une variété de déclinaisons et s'y tient. Ces associations -dont certaines ne sont constituées que pour cette période de l'année le carnaval en Allemagne s'étend du 11.01 à 11 h 11 jusqu'à l'apothéose du Rosenmontag (lundi rose, la veille du Carnaval) et le jour de carnaval. Ces deux jours sont généralement chômés et chacun participe à ces jours de fête précédant  le temps du carême -les 40 jours avant Pâques, la résurrection du Christ. Et le mercredi des cendres jour de jeûne et d'abstinence dans le monde catholique.
Les costumes dont certains sont représentés ci-dessous, évoquent donc des personnages, des plantes très différents, sans oublier les sorcières tournées en dérision peut-on croire, mais elles ont un rôle très important dans de nombreuses confréries de carnaval.


Voici quelques exemples : carnaval 2364
-ânes à clochettes, on verra sur de nombreux costumes des cloches (tels les Niklausle (défilés de st Nicolas) des alpages allemands, suises ou autrichiens), des feuilles (tels les feuillus).



carnaval 2401-blaireaux-

carnaval 2404
carnaval 2409
-les feuillus se transforment en boules de coton sur tout le corps, les costumes sont à porter à tout âge-


carnaval 2419-feuillus-

carnaval 2426-feuillus rouges-

carnaval 2439-regardez bien son visage, c'est un masque représentant la souche d'un bois, c'est bien un appel du printemps-

carnaval 2396-la sorcière qui attend la réplique au "Hourri..... !!
"Hourra ! "

carnaval 2443-aux feuillus simples, succèdent les feuillus portant déjà les cerises et les fruits mûrs-

carnaval 2479
-gare aux sorcières et à leur curieux moyens de locomotion-



carnaval 2482

et à ceux qui seraient trop imprudents, chasse des sorcières


car elles en récupèrent dans leur curieux manège...


carnaval 2490



Les rites de la fin de l'hiver, pétards (pour faire fuir les esprits mauvais à la nouvelle année) se retrouvent dans d'anciens rites, les cerceaux enflammés jadis allumés au sommet des montagnes (cycle solaire, hommage au soleil, ancien rite paiën), d'autres se retrouvent dans d'autres civilisations, en faisant claquer d'immenses laceaux,
la semaine passée à Offenbourg (Bade-Wurtenberg) lors des festivités carnavalesques, le rite était "bruyamment appliqué" à un sol encore froid. A grands coups...



Les différents villages ou "associations" sont revêtus d'un costume porté une seule fois l'an qui fait la fierté de chaque village ou ville. On le retrouve sur les places publiques sous forme de statue. Les associations se retrouvent le reste de l'année (marché de noël, fêtes villageoises diverses).
Quelques costumes typiques de villages  :





on voit bien l'origine du feuillu -que nous développerons plus loin- même si le costume est en tissu, il conserve l'idée de costume fait de feuilles....




ou d'animaux, ici ce sont des costumes de blaireaux, et non de putois comme évoqué dans mon étude ci-dessous, que portent ce groupe. Réaliste jusqu'à la pointe de la queue.



Bien évidemment on croise aussi les traditionnels travestissements et sorcières :





(cette sorcière est un costume de groupe)

Le coup de coeur pour celle-ci / ou ceux-là, quand la fête est finie, la sorcière (le sorcier) rentre avec son petit (garçon) lui aussi déjà revêtu du costume tradtionnel, ainsi vont les traditions bien ancrées dans le coeur germanique de nos voisins rhénans.














Retour en Alsace avec les feuillus, pas si  lointains de ce que nous avons montré ci-dessus :


Extraits de notre numéro 144 paru le 1er février 2009

Les feuillus & d’r Iltis


Trois semaines après carnaval et trois semaines avant pâques, une période de privation rude justifiée par la fin des provisions dans les greniers, temps d’exercice spirituel, mais on voit réapparaître dans les folklores locaux alsaciens et rhénans  des aspects du paganisme.  
Notamment les hommes de paille, des personnages qui revêtaient (un véritable costume) une botte de paille et une botte de seigle sur la tête,
un autre se promenait jusqu’à avant 1870 “le cerf violoneux”. Hirtzgiger, il entrait dans chaque cour dans l’objectif de quêter tout en interprétant une chanson.
 On trouve ainsi une chanson ancienne à Oberhergheim, page 48 “la paille et le feu”. quelques extraits.
hit isch Mittelfaschta, ich ha nix meh im Kaschta.
D’r Nidderwind der geht so kalt.                         

Drei Resala vor dem griena Wald.
D’r Hirtzgiger isch a saliga Mann.Eier un Anka muas er han.
D’r Nidderwind...
- Ich höer die Mannala giga.
Si wöella uns Spack abschnida.
D’r Nidderwind...
(...) Schäue erus ! Trala erus !
Schäue eier Hirtzigiger an.
D’ Hirzgiger isch a saliga Mann.
C’est aujourd’hui la mi-carême, je n’ai plus rien dans mon placard, le vent du nord est si froid, trois petites roses du côté de la verte forêt.
Le cerf violoneux (?) est un saint homme.
Il lui faut des oeufs et du beurre.
Le vent du nord est si froid.
J’entend les hommes jouer du violon, ils vont nous couper une tranche de lard, il fait si froid.
(...) Voyez notre violoneux, c’est un saint homme !

Les feuillus,notamment, on en croisera en Alsace d’un bout de la chaîne de carnaval à la Pentecôte où un drôle de personnage revêtu de “coquilles d’escargot” se promenait ce jour-là dans certaines villages alsaciens. 96 jours sont donc “habités” par ce rite d’homme sauvage, la chasse au feuillu est traditionnellement représenté à l’écomusée, le jour de la Pentecôte, attrapé par les conscrits. Les chaînes sont également employées pour attraper le “Hans Trapp” ou lors de sa venue à Noël ou à la Saint Nicolas aux côtés du Christkindel.
“Le Feuillu attrapé par les conscrits, lors du « Pflingstpflutri “ s’amusait à titrer le quotidien régional l’Alsace le 12 mai 2008.  
Hit isch Mittelfaschta, ich ha nix meh im kaschta !
c’est la mi-carême et je n’ai plus rien dans le placard !
Il est assez étonnant de croiser un cerf, équipé d’un violon, alors que nous ne sommes pas à la proximité de la St Hubert, dans la collégiale dans la collégiale Saint-Martin de Colmar on trouve, un carreau du XIV ème siècle qui représente un cerf avec un beau sourire.  (la paille et le feu, traditions vivantes d’Alsace, Michèle Bardout, Berger-Levrault, espace des hommes)
(la paille et le feu : les deux illustrations, voir référence)

on peut donc songer à une divinité tel Cernunos et des offrandes à lui faire. Un ancien rite, d’anciens rituels de procession...  Dans la chanson se trouvent mentionnées  les plats ou spécialités de la mi-carême : poêles à frire, marmite... Et si vous n’en donnez pas c’est le martre qui viendra prendre les poules... Plus agile encore que le renard pour attaquer les poulaillers.
Le lundi de carnaval, appelé chez nos voisins le lundi Rose, (Rosen Montag) était nommé le Hirtzemontag, hommes et femmes dansaient autour de l’un de leurs couvert de la dépouille d’un cerf. On trouve aussi dans les petits gâteaux de noël les “Hirzhörnle” (cors de cerf). On a déjà précisé que ces petits gâteaux de noël sont les héritiers d’offrandes faites aux dieux lors du passage de la chevauchée sauvage hivernale.
Voilà donc le cerf, symbole de la force, de la jeunesse et de la puissance salué. Etait-ce une divinité ?
Dans certains villages cet homme de paille se nomme le cerf, Cernunnos, dieu hivernal représenté sous la forme d’un cerf, les jeunes gens qui l’entourent  Esus, le dieu de la végétation.
Le cerf est psychopompe et solaire. On peut y voir des métamorphoses, de rite de passage, d’offrande antiques aux dieux, l’oeuf offert étant très riche dans la symbolique.
les représentations d’hommes sauvages ou de divinités “cernunos” selon l’écomusée
(site internet de l’écomusée)

Dans les défilés de carnaval de Bavière on trouve un Mullihirsch, selon le docteur J.Hirtz  qui a étudié les personnages dans les défilés et rites de carnaval, un personnage avec des cornes de cerf, revêtu de peaux qui serait, selon lui,  une représentation du dieu celte de par le fait qu’il porte les bois du cerf.  Le masque du cerf existerait depuis de nombreuses années dans le coin de Partenkirchen, mais porté sur un cerf blanc. Pour ce chercheur, il évoquerait l’esprit  d’un forestier mal-aimé de la population qui s’est donné la mort dans les alpages.
(Appropriation d’une tradition ou amalgame, symbolique d’une tradition ou d’une croyance méprisée ou rejetée ? On ne sait, en tous les cas une belle revanche pour la mémoire du forestier dont sa cité ne voulait entendre)(in Lebendiges Brauchtum in Werdenfels, Adolf und Hildegard Rehm, auto-édition, juin 1995, en langue allemande,
photo de ce livre bas de page )
Un texte de Biederthal   manie à la fois les promesses et la menace. Se mêlent  la peur de l’hiver et des conséquences de la pingrerie.
La société villageoise plus solidaire voulait éviter toute mise à l’écart, tout individualisme qui lui était inconnu.
(la paille et le feu)



Le putois...
Le jeudi de la mi-carême est le jour de prédilection pour la sortie du putois.
Escorté selon les villages par les conscrits, ceux qui incarnent l’adolescence et le rite de passage. Ce putois se nomme : “D’r Iltis” (“le putois”). Le putois est en effet une menace pour les poulaillers, tant pour les poules que pour leurs oeufs dont les paysans ne peuvent se nourrir en période en carême.
Cet homme de paille n’est pas un mannequin comme les rois de carnaval, effigies qui sont brûlées sur les bûchers. C’est un animal qui est joué par un jeune conscrit. Il est promené par les autres, rites comparables à l’homme sauvage, ou amené, enchaîné, représentant l’hiver. Avec sa pointe de paille, il peut mesurer 4 mètres.
Enchaîné, on veut l’amener afin que surtout il ne vienne pas déranger par son froid, ses gelées, le printemps et les futures récoltes à venir. Nos sociétés urbaines ne mesurent pas toujours les risques des gelées tardives sur les vergers, les récoltes futures. Nos ancêtres s’ils protégeaient leurs pousses, ne connaissaient pas les serres modernes chauffées actuelles.  
L’homme de paille doit rester anonyme, masqué, inconnu. Ceux qui l’accompagnent récitent une genre de psalmodie répétitive. On s’interroge sur la proximité avec d’autres rites, tel le pénitent de Sartène, enchaîné,qui doit rester inconnu, et malgré le rite du chemin de croix très chrétien et la présence de prêtres, de prières chrétiennes, la psalmodie tout au long du parcours des stations (classiques du chemin de croix) le même chant, lancinant, est entêtant. Bien sûr dans l’homme de paille aucune référence chrétienne n’est évoquée, même suggérée.
La quête réalisée comportait généralement des oeufs. Symbole de résurrection, de vie à venir, d’espérance. Aujourd’hui, elle a une visée essentiellement financière et perd donc cette dimension symbolique. Les bénéfices de la procession devant plutôt servir à acheter alcools et victuailles pour une fête. Un autre esprit celui plus spiritueux que spirituel.
Psalmodie :

“Nous l’avons attrapé avec des pics et des bâtons, donnez-nous cinq francs”
L’homme de paille personnifie l’hiver disent les conscrits, qu’ils battent avec un gourdin.
Une stèle du 3ème siècle représente Mercure avec une bourse et un gourdin. Est-ce un rite de fertilité ? Tels les coups de lanières sur le sol, les pétards (éloignant les esprits mauvais)...
Le Putois est un mammifère qui dévore les oeufs, qui menace la jeunesse, l’avenir, les fruits du printemps et l’avenir.
Celui qui est peu prodigue de cadeaux  est menacé de la visite du putois dans son poulailler.
Dans chaque texte récité par les quêteurs il y a la promesse de la fin de carême, dans trois semaines nous mangerons des oeufs.


A  Buschwiller, Hiltiz, une formule
“Nous en avons attrapé avec des épieux, bâtons et des excréments de poules, Celui qui garde les oeufs doit donner vingt centimes”. (page 30)


Interdits alimentaires
Les produits carnés et les oeufs étant interdits jusqu’en 1618, où l’évêque de Bâle, dont dépendant les paroisses du Sundgau, où ces traditions sont plus vives actuellement,  lève les interdits alimentaires sur les produits laitiers et les oeufs.
Le putois bouc-émissaire ?
Il pourrait une modernisation adoucie de la “chasse antisémite”. Le samedi saint dans certains villages on brûlait Judas, le traître (un mannequin) en mémoire du disciple qui avait trahi Jésus contre deniers au Sanhédrin.
Le Butzimummel ou Butzi ou “der Butzemannel”
Un autre nom pour ce drôle de  personnage vient faire la quête, une corbeille d’osier sur la tête, longues tresses de paille lui faisant un vêtement, il n’est pas masqué. Entouré par des hommes. On fait allusion à un tailleur sur un bouc. Ce dernier est souvent la représentation d’anciennes divinités devenues négatives avec le christianisme.  De nombreuses croyances représentent les sorcières sur un bouc, chevauchant un bouc.  
Un rite assez proche a été signalé par Arnold van Gennep page 803 “le folklore français”, collection Bouquins,  il y raconte une procession du “vieux ou de la vieille” dans de nombreuses villes françaises,  poussé en procession hors de la ville. Un ancien rite de la ville de Rome,  “Le vieux mars”, la cérémonie avait lieu le premier jour avant la première lune qui débutait le premier mars, l’ancienne année, l’ancien mars était chassé,  l’homme était habillé de peau. “Un bouc émissaire” battu, chassé, expulsé de l’enceinte de la cité.
Mars n’est pas un dieu de la guerre mais de la végétation, on peut faire le rapprochement avec les hommes de paille de l’hiver. On trouve de nombreuses personnifications dans la période de carnaval ou de carême.  (ci-dessous un Narre, tel celui du Lundi de Pentecôte)
Photo ci-dessous : personnages mystérieux, lors de carnaval de Nassereith, Autriche
Autres noms :

Le “Strohmann”, se nomme  à Sarrebourg :  “Haïlog”, “Hirziger” personnages qui ce jour-là sont également promenés.
Une danse rituelle est exécutée, un sorte de rite de protection pour lequel on versait une récompense. Chamanisme ?
A la fin des processions et  de la tournée des hommes de paille, on jetait le costume sur le fumier. (les rois de carnaval sont eux généralement brûlés).

Pour l’écomusée qui reconstituent les personnages Buzzmummel et le Hiltzig ce sont deux versions de l’homme sauvage, on peut voir des photos des reconstitutions, dans l’Alsace et ses fêtes, page 31.
Dans ces défilés assez étranges, les rites si enracinés,  sont sans doute d’anciennes divinités, ou rituels, dont la mémoire collective est ainsi encore alimentée.  “Déchaînement, travestissement, métamorphose” résume Jean-Jacques Mourreau dans son dictionnaire sincère de l’Alsace singulière,  en évoquant les traditions des défilés de carnaval traditionnels en Forêt-Noire.  Mais aussi traditions et costumes villageois ou de corps de métiers. On trouve également la chasse à l’ours. Tous ces personnages ( à deux têtes), l’ours (der Bär ist frei, l’ours est lâché, ce qui signifie tout est possible) , le cerf, sont assez imposants, à la fois sérieux, comiques, majestueux, recherchés, tragiques et magiques. Ils avancent masqués comme pour signifier le caractère mystérieux et caché. Mais lorsque ces masques tombent,  l’ancienne peau tombe, “les anciennes croyances aussi, le carême est une période de mutation de” metanoïa” de “conversion” corps est en mutation, la mue fait tomber la vieille peau.  Le Français sera toujours surpris de l’attachement viscéral des peuples germains à Carnaval, pas un jour, mais à toute la période qui s’ouvre depuis l’épiphanie. Tous les rituels enfuis remontent à la surface et aucun Germain se dispenserait de participer à ces grandes fêtes collectives de transgressions. Les masques sont conservés dans les familles de génération en génération, nul ne se dispenserait de participer à ses défilés, des associations entières tournent autour de cet événement. Des sculptures représentent les costumes dans les villages. On ne peut le négliger ou le balayer d’un revers de main. C’est plus qu’une simple fête.
Comme pour conserver les anciennes traditions, croyances, déformées, jouées ou mimées qui  ont remplacées par le christianisme en y mêlant humour, folklore et traditions villageoises le tout dans le contexte de transgression des règles et des habitudes.   


Les aspects positifs de
ces faits :
* une conservation-modifiée- de très anciennes croyances, de rites de protection
* une sorte de cohésion sociale d’une classe d’âge qui se prépare à entrer dans la vie adulte, sorte de rite de passage de transmission  inter-générationnelle,
de transformation symbolique de certaines peurs ou croyances ou événements.
* une solidarité de toute une cité face aux réalités de la nature et à ses risques
* une transgression d’une partie de la société des croyances établies (celles de l’église) au profit de rites passés, une “soupape de sécurité” évitant crises et révoltes, le peuple “fou” devient “roi”.
(un fou à la fontaine, recouvert de coquilles de noix ou d’escargot, tel celui de la Pentecôte plongé dans l’eau, photos FS)


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